Textes critiques (extraits)
« Le poudroiement des contours sous l'effet de la lumière trouve ici un effet remarquablement concentré, puisque Daniel Juré s'appuie sur le blanc du papier pour diluer un fond de ville bistre. Une courbe à droite, noire, suffit à appuyer la limite entre l'eau et la rive ferme. […]
Or, ces arbres, qui sont certes des arbres bien typés, reconnaissables même dans leur variété, à y regarder de près, sont des arbres de peinture. Je veux dire par là qu'ils montrent le geste de peindre en même temps qu'ils montrent l'arbre. Ce qui est troublant, c'est qu'entre le geste humain et la fibre naturelle, entre l'artifice humain de l'art et ce qu'il suggère du monde nonhumain de la nature, il y a, non pas identité, certes, mais même manière de venir, de naître, même pousse. […] Evidemment ce qui fascine dans ces peintures, c'est le sentiment qu'elles donnent d'un rien qui suffit à tout camper. Un arbre tordu comme une signature à droite, un autre à gauche tendu comme un pinceau, deux passages décalés au fond pour figurer murs et minaret, au pied des arbres un badigeon crée la lumière et l'ombre et au milieu, de noir sertis vite fait, une carriole, son âne et sa cargaison de fétus. C'est enviable, de paraître tout dire ainsi d'un trait. […] C'est comme lorsque Daniel Juré invente apparemment une situation où l'effet du mouvement de la carriole se confond avec ce qui pourrait être son chargement, l'âne et l'homme n'étant plus que boucle épaisse et zébrée; quant aux deux roues, elles sont signes de roue. On pense à la justesse du trait de pinceau dans l'art Zen, lorsque, du blanc - du vide - il fait naître quelque chose. Sauf qu'ici, aucune représentation traditionnelle au départ, dont l'artiste partirait ou se démarquerait. […] Il ne suffit pas ici de parler d'économie de moyens - c'est l'évidence et ce n'est pas rien; il faut surtout souligner ce qu'il y a d'audacieux dans des dessins si élémentaires qu'on pourrait n'en plus voir l'audace. »
Jean-Philippe Domecq
A l’ombre d’Amon 2000
« Hiératiques, comme tirées par fragments d'un théâtre intime, les figures et les objets de Daniel Juré paraissent dans leur forme originelle portés par la ligne, presque calligraphiés. Paysages par traits, natures mortes, la tradition du sujet s'affiche mais cela n'entrave pas ce désir de synthèse que Nicolas de Staël a si bien porté. »
Alain Tapié
Peindre en Normandie 1996
« Les appels de la vie surgissent, sans que le peintre puisse s'y attendre, des postures figées comme si de l'histoire de chacun et de sa longue vie jaillissaient par fragments, par instants, des intentions et des réactions confondus et vite retenus dans la quête attentive et inquiète du miroir qui les scrute. Comme nous sommes loin de l'imitation et proche d'une réalité enfouie et que seule la peinture est encore capable d'atteindre même si elle se glisse humblement dans les rythmes incertains des couleurs et des gestes, sans chercher à s'affirmer comme un projet esthétique.
[…] Voilà pourquoi devant cet ensemble, grâce à l’unité de la pose, notre regard échappe au voyeurisme de la condition humaine. Par la couleur, toujours stridente, différente, dérangeante, s’affirme une unité de champ qui renvoie chaque figure à la peinture pour ce qu’elle est. Bien sûr, ces audaces anatomiques ou chromatiques pourraient trouver une place de choix, si un critique voulait s’y attacher, du côté de la culture anglo-saxonne du portrait. Pour le moment, l’essentiel est d’avoir trouvé dans ces mondes finis, humbles et puissants, que la réalité saisie par la photographie est illusion, tandis que l’illusion de la peinture est bien une réalité. »
Alain Tapié
Portraits chroniques 2003
« Daniel Juré a décidé de ne pas outrepasser les limites de la représentation. Il produit de l’identifiable - dont chaque forme et couleur nous étonnent. Nous ne connaissions donc pas encore ces êtres, animaux, lieux de notre quotidienneté ? Il y avait encore en eux une part insaisissable dont lui-même approche, vaille que vaille, en la laissant supposer plutôt qu’en l’adjugeant ? Un instant j’ai pensé au mot « courage », trop bien pensant, tous comptes faits, quand c’est l’audace et la témérité qui l’emportent. « audaces fortuna juvat », disait un vers de Virgile. […] L’essentiel subsiste - qui n’est pas celui qu’on attendait. Juré fait surgir un nouvel essentiel de ces poissons morts, de ces dorades en tête-bêche, surtout de ce broc dont le bleu différé de lui-même luit comme une preuve d’existence, à l’instar de celui d’Yves Klein ou du vert Véronèse. Que l’on examine plus longtemps sa couleur, et bientôt l’on rendra le rayonnement qui en émane au seul bonheur d’exister (plus troublant que la béatitude). […] Un aspect du visible se tient, juste comme preuve. D’observateur et de témoin, Daniel Juré est devenu celui qui dispose - et du coup, nous rend disponibles tout autant pour ce qui est, le multiple des apparences, la très fuyante identité pourtant nommable, l’angle prévu qui fait foi, la couleur votive. »
Jean-Luc Steinmetz
Silence régnant 2009
« Parmi les nombreuses qualités qu’offrent les photographies de Daniel Juré, on est touché par l’accord régnant entre les matières du paysage et une forme, très subtile, de nostalgie qui s’en dégage. Peut-être est-ce aussi sa pratique de la peinture qui contribue à dépasser et à contenir, tout à la fois, une esthétique très classique. »
Farid Abdelouahab
La Normandie des photographes Tome2, 2008