Le retour sur soi, l'image de l'homme, effectués par Daniel et Katia, ont pris les moyens de la figure. Représentation, reproduction du réel qui se sont chargées des problématiques qui pèsent depuis longtemps déjà sur l'observation et la distanciation nécessaires à la description.
L'écriture picturale, ses moyens d'expression ont déjà exploré bien des univers en un siècle.
Volontairement les deux artistes construisent leurs images sur des regards comparés, partagés pour se donner et donner à chacun la parole que réclame le regard de l'autre.
Les regards sont frappants. Double regard. Regard de l'observé et regard de l'observateur.
Ce n'est pas un regard qui décortique et met à nu la personnalité mais qui pense et partage l'altérité sans la déchirer, la déséquilibrer ou la disperser.
La personnalité indivise est projetée sur la toile par les yeux de l’artiste et l’impact de ce regard sur l'autre ressort d'autant mieux que traits et aplats de couleur sont précis et spontanés.
Daniel peint juste pour dire avec légèreté et profondeur ce qu'est l'autre. Son intérêt pour autrui, son amour manifeste de l'humain, sans s'appesantir sur le fait de peindre, sur la matière picturale tout entière dévolue à ces amis qu'il peint. Qui ne sont pas des personnes mais des quelqu'uns.
Comme l'ethnologue qui doit entrer dans la culture de l'autre pour l'appréhender de l'intérieur (regard participant et distancié) Katia et Daniel sont tour à tour l'observateur et l'observé.
Ce va-et-vient d'un regard vers un autre regard n'est pas fermé, secret ou réservé aux seuls initiés ou seulement bipolaires. Non, il communique, éclate vers l'extérieur car plein de sensibilité, d'humour et de tendresse. La matière picturale est en tout état de cause vulnérable et malléable.
La complicité des artistes matérialisée par les techniques différenciées et leur pratique réflexive nous donnent les moyens de franchir le seuil de visibilité du processus singulier de l'autre livrant son altérité.
Au moment de la création, l'artiste est en communication avec l'autre qu'il peint ou photographie, l'autre se pose comme individu à la personnalité exclusive et autonome. Il offre son image pour ce qu'elle a de personnel, de différent, d'irréductible à toute autre image. Dans le premier temps s'observe une communion, dans le second, un détachement qui se nourrit du premier. Cet acte de translation que ce soit entre individus, entre cultures ou esprits est l'essence même du regard ethnologique.
Ils nous font voir que le regard de l'autre, la problématique de l'altérité commence et se concrétise dans l'esprit. La déroutante diversité des individus et la subtilité des émotions transmises par le modèle obligent les artistes à s'engager sans équivoque dans un exercice d'interprétation. Et surprise du sujet qui se découvre grâce à l'œil de l'artiste. Surprise partagée par le public de l'exposition. Surprise de l'autre rendu visible, lisible sur les toiles et les photos. Sensations, sentiments d'altérité presque mimétiques au regard des œuvres.
Aucun des modèles n'a essayé de se dérober au regard de l'artiste. L'autre (le modèle), l'artiste observant et l'artiste observé, chacun dans son langage, se démarque pour dire sa personne mais aussi leur cheminement commun.
Caractéristique du semblable, du reconnaissable mais mystérieuse différence, énigmatique altérité.
Hubert Godefroy
Conservateur des musées municipaux de Saint-Lô
Catalogue Jours ouvrés
Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô, 1998