L'histoire de Katia et Daniel
C'est une belle histoire que celle de Katia Boyadjian (photographe, fille d'Angelo, un des grands portraitistes du Caire) et de son ami le peintre Daniel Juré. Une histoire d'amour comme je les ai toujours aimées dans l'histoire de l'art entre deux êtres éclairés par les feux de la création, de l'âme et de la chair et qui se renvoient des images par techniques interposées.
Dans des ateliers en pleine campagne et intemporels ils se cachent un peu du monde pour vivre l'intensité de leur jeu à facettes multiples où chacun d'eux tient son rôle puis l'inverse comme on le fait dans la passion amoureuse pour mieux l'entretenir des flammes de l'invention et du désir. On pensera, c'est certain, aux relations mythiques: Stieglitz et Giorgia O'Keef, Henry Callahan et Eleonor, Man Ray et Juliette, Tina Modotti et Weston... on y pensera seulement car, ici, la subversion gagne sur la banalité apparente de ce couple.
Katia Boyadjian, la photographe effacée et respectueuse, est aussi le modèle du peintre et d'elle-même prête à quelque nudité désarmante. Autoportraits, ses images sont aussi des portraits de son ami peintre dans l'activité de son art tentant de saisir les contours de cette femme qui pose pour lui tout en se faisant reporter de l'acte de peindre dans l'atelier. Elle travaille les lumières souvent du jour, cadre avec une facilité exemplaire, compose les différents éléments dans l'espace... met littéralement en scène sa vie, sa création et son amour en rendant ainsi toute dimension autobiographique à l'acte de prise de vue qui me paraît, en photographie, l'étape la plus jubilatoire et la plus spécifique.
Claude Nori
décembre 1995
Catalogue Jours ouvrés
Musée des Beaux-Arts de Saint-Lô, 1998